mercredi 23 mai 2012

Une métamorphose iranienne

Petite escapade pragoise... Prague, ville originaire de Franz Kafka. Nouvelle célèbre de Kafka : ...Une idée?

Quelle évidence pour moi de penser "métamorphose" à mon retour!
Mais ce n'est pas de celle-ci dont je vous parlerais aujourd'hui...
Certes, elle aussi débute avec un cafard, mais c'est de celle de  Mana Neyestani, dessinateur professionnel iranien dont il sera question.

Dans Une métamorphose iranienne, il nous livre un témoignage du cauchemar qui commence pour lui un jour de mai 2006.  
Mana illustre alors dans le supplément pour enfants d'un hebdomadaire iranien. Lors d'une publication, il met en scène une conversation entre un garçon et un cafard, qui prononce le terme azéri "Namana". Mot qui scellera le sort du dessinateur. 

En effet, les azéris, peuple d'origine turque du nord de l'Iran et opprimés depuis de longues années par le régime central, se sentent insultés par cette publication. Ils déclenchent alors de petites émeutes, qui s'amplifieront, jusqu'à l'arrestation de Mana et de l'éditeur du magazine Mehrdad Qasemfar. 
Téhéran avait besoin de responsables à cette agitation, et ils en payeront le prix...





Ils seront incarcérés dans la prison 209, une section non officielle de la prison d'Evin, sous l'administration du ministère des renseignements et de la Sécurité Nationale iranienne, alias la VEVAK (Vezarat-e Ettelā'at va Amniat-e Keshvar) .
Ainsi commence pour eux une longue période d'interrogatoires, un quotidien dans des cellules insalubres, le côtoiement des prisonniers en sevrage de crack (je reste bouche bée face à ces images surprenantes!), un temps interminable de doutes et de souffrance dû à l'éloignement de l'être cher...
Mansoureh...On ressent tellement fort le mal-être de Mana face au manque de sa femme...Il passe des heures à l'imaginer, lui parler, la rêver, l’illusionner...

Après trois mois de détention, les deux détenus obtiendront dix jours de liberté provisoire. Puis la permission sera étendue à un mois, et devra se clore par un procès devant tribunal. Enfin, "aurait dû".
L'espoir d'être disculpé résonne dans le cœur des deux hommes...Et dans le mien !

En vain.

Poursuivi  par le gouvernement totalitaire, en recherche d'un bouc émissaire dans cette affaire, Mana sera rappelé pour retourner en prison. Indéfiniment.
(Quand Mana devient Samsa... )

Mana et Mansoureh suent à grosses gouttes. Moi aussi.
Ils décident de s'enfuir.
La cavale commence: recherche de visas, d'ambassades, paiement de faux passeports, passage des douanes (on sue toujours tous à grosses gouttes...), nuits et journées dans des planques gelées, manque d'argent...

Ils se réfugieront aux Emirats Arabes Unis, en Chine, en Turquie puis en Malaisie, où ils s'installeront quelques années. De son exil, Mana collabore pour de nombreux sites de l’opposition iranienne.
Depuis 2010, ils vivent à Paris, en résidence d'artiste à la Cité Internationale des arts dans le cadre du programme international ICORN de soutien à la liberté d’expression.

Mana Neyestani nous dévoile à travers ce roman graphique, son lourd passé, avec un humour que l'on devine un peu mélancolique mais assumé, vindicatif, mais soulagé...Sauvé de ce système totalitaire digne d'un roman de Kafka!
Les dessins en noir et blanc, la diversité de ses coups de crayons rendent cet ouvrage, magnifiquement subtil et drôle.

Un livre rare à ne manquer sous aucun prétexte!

Liens: 
Article arrestation de Mana

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